Dans Impro, Keith Johnstone présente la discipline du Trance Mask. Une pratique inspirée des rites chamaniques tribaux visant à libérer le comédien de son auto-jugement pour devenir un autre…
En pratique Le comédien chausse un demi-masque qui recouvre sa lèvre supérieure, et ne lui permet de voir que par deux toutes petites ouvertures. Il/elle se vide la tête et on lui présente abruptement un mirroir. Le choc de voir ce visage puissant et étrange est une induction (au sens de l’hypnose) permettant au comédien d’entrer en état de « transe ». Le comédien adapte la forme de sa bouche et laisse sortir le premier son qui vient. Il le répète en boucle. Le public applaudit et reprend le son en boucle pour amplifier l’état du comédien.
Les stimuli sensoriels contribuent à être « un autre » Je vois différemment (le masque limite ma vision et focalise mon attention sur ce qui est en face), je sens différemment (la pression du masque sur le visage), je parle différemment (la lèvre supérieure est prisonnière du masque), les autres intéragissent avec moi différemment (on vouvoie volontiers un masque pour le distinguer du comédien, et le public réagit singulièrement à cette créature étrange), je bouge différemment (je dois tourner la tête pour regarder). Lorsque le comédien sent qu’il commence à réflechir, il peut soit regarder le miroir (nouvelle induction), soit ôter le masque. Pour que l’association reste forte entre le fait de porter le masque et l’état de transe, il ne faut pas porter le masque sans être en transe.
Entretenir la croyance d’une possession pour faciliter le lâcher-prise
Keith Johnstone dit que les masques ont une âme qui possède les comédiens lors de l’induction. Steve Jarand et Mark Jane sont plus modérés : il ne s’agit pas d’une possession par l’esprit du masque. Cependant, le (faire) croire facilite la déresponsabilisation du comédien – et donc le lâcher-prise. Ainsi, il fait sens d’entretenir des rituels visant à sacraliser les masques, comme ne jamais poser le masque face contre terre, les ranger dans des coffres ou belles valises anciennes plutôt que de les exposer comme objets de décoration…
Développer un masque Lorsqu’un comédien porte pour la première fois un masque, on découvre une créature spontannée, au caractère marqué, mais dans un état régressif: elle ne sais pas parler, aborde avec la fascination de la nouveauté les objets triviaux du quotidiens. Le masque est sans filtre de politesse et codes sociaux. On développe un masque comme on éduque un enfant, on lui apprend à lire, on lui fait vivre des expériences réelles ou figurées (jeu de rôle grandeur nature).
Un principe au coeur d’autres formes théâtrales
D’autres disciplines théâtrales utilisent des modifications physiques pour libérer le comédien de l’auto-jugement: la mousse sous les vêtements du bouffon, le nez du clown, le maquillage et la perruque de la Drag Queen… Dans La formation de l’acteur, Stanislavski donne l’exemple d’un étudiant trouvant un personnage puissant et complet « Le critique » en se barbouillant le visage de maquillage. Charlie Chaplin a fait la découverte immédiate de Charlot quand il a enfilé son pantalon large et collé sa fausse moustache.
Fabriquer un demi-masque Voici un tutoriel de fabrication d’un demi-masque par Steve Jarand. Plutôt que des peintures Warhammer (Citadel), il est possible d’obtenir une couleur peau en mélangeant une dose de magenta, une dose de jaune et une dose de blanc.